Lâinformation a Ă©tĂ© publiĂ©e sur le site du ministĂšre centrafricain des Finances, mais elle est quasiment passĂ©e inaperçue.
Quelque 116 permis miniers ont Ă©tĂ© accordĂ©s en janvier et fĂ©vrier derniers. Des permis dâexploration, mais aussi dâexploitation, qui concernent lâor et le diamant. Soixante-sept carats. Le ministĂšre des Mines lâannonce avec un brin de fiertĂ© : câest le plus gros diamant trouvĂ© depuis la reprise officielle des activitĂ©s miniĂšres en juin 2015. Il est en cours de certification et pourrait valoir jusquâĂ 400 000 dollars !
Les diamants alimentent autant les fantasmes que les appĂ©tits internationaux en Centrafrique. Mais si pour l’or, il nâexiste aucune restriction gĂ©ographique Ă la production et Ă lâexportation, ce n’est pas le cas des pierres prĂ©cieuses. En janvier 2003 a Ă©tĂ© lancĂ© un processus mondial de certification du diamant qui vise Ă Ă©viter que l’exploitation des mines ne finance les conflits : le Processus de Kimberley (PK). Dix ans plus tard, au moment oĂč la crise Ă©clate dans le pays, la RCA s’est ainsi vu interdire dâexporter lĂ©galement ses diamants bruts. Depuis, une petite partie seulement du territoire a Ă©tĂ© rĂ©intĂ©grĂ©e au Processus de Kimberley en 2015. Seuls les diamants provenant de cinq sous-prĂ©fectures sur 72 (Boda, Nola, Gadzi, Berberati, Carnot) ont ainsi Ă©tĂ© autorisĂ©s Ă lâexportation.
Pour quâune entreprise ait le droit dâexploiter les sous-sols du pays, un permis signĂ© par le ministĂšre des Mines est nĂ©cessaire. Ces permis ont longtemps fait lâobjet de supputations en tous genres. Finalement, les autoritĂ©s ont levĂ© un coin du voile : sur le site internet du ministĂšre des Finances, une partie des arrĂȘtĂ©s et des dĂ©crets concernant les concessions miniĂšres rĂ©cemment octroyĂ©es ont Ă©tĂ© publiĂ©s.
En tout, 41 arrĂȘtĂ©s et dĂ©crets ont Ă©tĂ© rendus publics. Ils concernent lâattribution de 116 permis entre le 4 janvier 2018 et le 26 fĂ©vrier 2019. Une dizaine dâautorisations de recherches et de reconnaissance apparaissent dans le magma des documents. Plusieurs autorisations dâexploitation de mines de calcaire, de sable et dâargile ont aussi Ă©tĂ© dĂ©livrĂ©es. Mais lâessentiel des permis concerne bien lâexploitation de lâor et du diamant⊠104 permis dâexploitation artisanale semi-mĂ©canisĂ©e ont ainsi Ă©tĂ© concĂ©dĂ©s pour une pĂ©riode dâun Ă cinq ans. Quatre-vingt-dix-neuf concernent de maniĂšre associĂ©e lâor et le diamant. Parmi les entreprises qui ont obtenu ces prĂ©cieux sĂ©sames, la dĂ©sormais cĂ©lĂšbre entreprise russe de la Lobaye Invest, ou encore des entreprises chinoises telles que Zhong Yu Kuang Ye SARL ou Tian Xiang.
Parmi les permis dâexploitation dĂ©livrĂ©s par lâĂtat, prĂšs de la moitiĂ© se situent hors de la « zone verte » du Processus de Kimberley. Bria, Bossembele, Bozoum, Bangassou, etc. Ces localitĂ©s sont bien loin de la petite zone sud-ouest autorisĂ©e. Pourquoi attribuer des permis dâexploitation de diamants hors du pĂ©rimĂštre autorisĂ© ? Le ministre des Mines LĂ©opold Mboli Fatran prĂ©cise que selon lâarticle 43 du code minier, « les permis semi-artisanaux dĂ©livrĂ©s donnent systĂ©matiquement Ă leur titulaire le droit dâexploiter toutes les substances miniĂšres » qui se trouvent dans le pĂ©rimĂštre attribuĂ©. Le ministre concĂšde quâ« il pourrait ĂȘtre judicieux de prĂ©ciser les minĂ©raux autorisĂ©s Ă lâexploitation. »
Si lâexploitation des diamants hors zone verte nâest pas illĂ©gale selon le Processus de Kimberley, il est cependant interdit de les exporter. Les sociĂ©tĂ©s ont pour obligation en cas de production hors de la « zone verte » de les consigner et de les stocker en attendant la levĂ©e de lâembargo. Mais il est actuellement trĂšs difficile de contrĂŽler les productions et les stocks notamment Ă lâest du pays.
Les richesses miniĂšres ne bĂ©nĂ©ficient donc Ă lâheure actuelle que trĂšs peu aux caisses de lâĂtat. Si lâexportation de lâor a doublĂ© par rapport au niveau dâavant crise, on est loin du compte en ce qui concerne les diamants. Seuls 13 000 carats ont Ă©tĂ© officiellement exportĂ©s en 2018, les projections prĂ©voient 20 000 carats pour 2019, mais pourraient mĂȘme ĂȘtre revues Ă la baisse. Avant la crise, lâexportation Ă©tait bien plus Ă©levĂ©e, et a ainsi pu atteindre 365 000 carats en 2012. Les experts internationaux parlent dâun « effondrement du secteur ». Une baisse de la production officielle qui a des consĂ©quences sur les revenus de lâĂtat. De maniĂšre gĂ©nĂ©rale, les autoritĂ©s peinent Ă faire rentrer les devises.
La taxation du diamant, Ă hauteur de 6,75 %, se fait sur des quantitĂ©s minimes comparĂ©es Ă ce qui circule dans ce qu’il faut bien nommer un circuit informel. En 2007, le secteur minier reprĂ©sentait 7 % du PIB. En 2018, ce chiffre est tombĂ© Ă 0,2 %. Pour lutter contre le dĂ©tournement des pierres prĂ©cieuses, les autoritĂ©s ont mis en place diffĂ©rentes mesures. Notamment lâimposition dâun montant minimum dâexportation officiel de la part des bureaux dâachats (200 000 dollars par mois). Plusieurs bureaux pourraient ĂȘtre prochainement fermĂ©s faute dâatteindre ce seuil, selon le ministĂšre.
Le Processus de Kimberley, et la crĂ©ation de la « zone verte », ont permis en partie la formalisation du marchĂ©, mais la majoritĂ© du territoire Ă©chappe encore au processus. Si 13 000 carats ont Ă©tĂ© lĂ©galement exportĂ©s en 2018, ce serait plus de 315 000 carats qui auraient quittĂ© le pays illĂ©galement selon unrapport de lâUS Geological Survey. Par la route ou en avion, les pierres prĂ©cieuses passent les frontiĂšres poreuses qui entourent la RCA, comme le souligne le groupe des experts des Nations unies dans son rapport.
Cette exportation illĂ©gale est faite par des particuliers profiteurs, mais aussi par les groupes armĂ©s. Ils sont prĂ©sents sur de nombreux sites dâextraction et bĂ©nĂ©ficient largement de leurs revenus. « Les groupes armĂ©s continuent de tirer lâessentiel de leurs revenus de la taxation illĂ©gale et du rançonnement des artisans miniers et des collecteurs, ainsi que de la fourniture de services de sĂ©curitĂ© », note le rapport final du groupe des experts des Nations unies de 2017. Un autre rapport de The Sentry publiĂ© en novembre 2018 dĂ©taille par exemple lâenrichissement du chef de guerre Abdoulaye HissĂšne grĂące au commerce de minerais, sans pourtant pouvoir Ă©valuer le montant de cet enrichissement.
Un accord de paix a Ă©tĂ© signĂ© le 6 fĂ©vrier dernier. Il devrait permettre le redĂ©ploiement de lâautoritĂ© de lâĂtat sur lâensemble du territoire aujourdâhui contrĂŽlĂ© dans sa majoritĂ© par les groupes armĂ©s. Le gouvernement, lui, espĂšre Ă©tendre la zone verte Ă neuf nouvelles sous-prĂ©fectures, une perspective qui devrait ĂȘtre Ă©troitement liĂ©e aux progrĂšs de la mise en application des accords de Khartoum.
Les arrĂȘtĂ©s et dĂ©crets publiĂ©s prĂ©cisent, enfin, pour chaque concession, la surface allouĂ©e pour lâexploration ou lâexploitation. En tout, ce sont plus de 14 000 km2 qui ont Ă©tĂ© attribuĂ©s, soit lâĂ©quivalent de plus de 2 % de la surface du territoire. Une pression fonciĂšre non nĂ©gligeable qui explique en partie les expressions de mĂ©contentement des populations auxquelles on a assistĂ©, et certaines poussĂ©es de fiĂšvre parfois violentes. Le 7 mai 2019, une dĂ©cision du ministĂšre des Mines a suspendu les attributions de titres miniers et les autorisations diverses « jusquâĂ nouvel ordre ». Le ministĂšre prĂ©voit la crĂ©ation dâun comitĂ© technique pour faire lâĂ©tat des lieux de tous les permis dĂ©jĂ attribuĂ©s afin de reconstituer une base de donnĂ©es mise Ă jour et de traiter les contentieux sur les permis dĂ©jĂ attribuĂ©s.